🔴 TRIBUNE – Les entreprises peuvent-elles vivre heureuses sur les réseaux sociaux ?
Le silence et l’opacité ne sont plus possibles pour les industriels, comme le montre la tourmente traversée par le groupe laitier Lactalis. La chronique de Véronique Reille-Soult, présidente de Backbone Consulting et spécialiste des réseaux sociaux.
À l’ère des réseaux sociaux, le silence n’est plus une option en cas de crise. Pourtant, l’adage « Pour vivre heureux, vivons cachés » semble être encore bien ancré dans les réflexes de communication des entreprises, et en particulier des entreprises industrielles.
Lactalis, à nouveau dans la tourmente, en est le reflet au sein du mouvement des agriculteurs. En effet, l’entreprise cristallise les critiques : plus de 73 000 messages subis qui citent l’entreprise depuis le 18 janvier. Ces messages sont majoritairement négatifs et à charge, dénonçant les pratiques du groupe et le silence qui l’entoure. Face à ce torrent, quelques centaines d’autres partagent la position de l’entreprise et son argumentaire, notamment à travers le relais des communiqués de presse.
L’émotion des réseaux sociaux face au rationnel technique d’une expression limitée à des communiqués de presse explique ce décalage. D’un côté, des images et des témoignages souvent poignants : la vidéo de paysans en sous-vêtements postée le 21 février, avec le message « Lactalis nous met à poil ! Ça suffit. Rends l’argent caché dans les paradis fiscaux ! », a été vue plus de 50 000 fois en deux jours. Les enfants d’agriculteurs manifestant au volant de tracteurs miniatures, quand leurs parents étaient sur le terrain, plus du double. Ce n’est qu’un des exemples et illustrations de la viralité de l’émotion provoquée par ces cris du cœur. Rappelons que les Français soutiennent à 91 % les agriculteurs et leur mouvement (sondage Odoxa-Backbone Consulting réalisé les 20 et 21 février).
Côté Lactalis, un discours désincarné, perçu comme froid et technocratique, rend les informations et données inaudibles, même si elles sont justes et démontrent factuellement une posture d’ouverture et une volonté d’effort et de négociations. L’option du silence n’est plus envisageable. En revanche, le fait de communiquer sans une incarnation et donc une personnalisation est possible. Mais avec une condition incontournable : une information transparente, simple et claire.
Communiquer sur les marges, expliquer clairement la composition du prix final : c’est ce que recherchent les Français et, à défaut de pouvoir avoir accès à une information précise, ils partagent des informations parfois erronées, renforçant ainsi la crise réputationnelle de l’entreprise visée.
En résumé, le silence et l’opacité ne sont plus possibles, au risque, pour une seule société, de devenir le symbole d’une crise et de porter le chapeau pour toute une industrie. Ce n’est plus tant l’industriel qui est désigné, mais l’ensemble des industriels, à travers une entreprise. Cette place est d’autant plus dangereuse qu’elle peut provoquer un rejet dans l’opinion et un mouvement de boycott par les consommateurs.
Les marques commerciales du groupe Lactalis ne sont pas toujours identifiées, ce qui les protège, mais le risque est là, car avec les réseaux sociaux, les informations sont à portée de clic et de viralité ! Les positions prises par les politiques et les actions menées sur le terrain, relayées et partagés plusieurs milliers de fois à renfort de mots et d’images puissantes (comme ces citernes de lait interceptées, vidées et taguées avec les mots « voleur » et « lait non payé = lait repris »), sont autant de traces qui s’impriment dans l’opinion.
La sortie de crise ne peut pas faire l’économie d’une expression claire, entre autres sur les réseaux sociaux. À condition d’analyser précisément l’opinion en ligne, pour viser juste, en adoptant une logique de transparence et de dialogue, avec une touche d’authenticité.
Retrouvez sur Le Parisien la tribune rédigée par Véronique Reille-Soult, présidente de Backbone Consulting.