Le nutri-score est-il bon pour le corps ?
Une mauvaise note, ça n’arrive pas qu’à l’école. Dans ce cas-là, le cancre du fond de la classe s’appelle Roquefort. Coup dur pour cet être caractériel aux pépites bleutées et à la carapace onctueuse. Il a reçu la note médiocre de E. Soit, la plus basse sur l’échelle du nutri-score. Or, j’adore le roquefort. Car ici, on ne note ni le goût, ni la texture, ni l’odeur mais l’apport nutritionnel que propose ce produit phare du patrimoine alimentaire français. Ce joyau crémeux se retrouve ainsi, malgré lui, au milieu d’une guerre industrielle de grande envergure : c’est un produit catalogué mauvais pour la santé et vous devriez en consommer le moins possible (entendez pas du tout car c’est mieux pour vous).
Tout n’est pas rose au pays du lactose
Après la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (la non moins fameuse FICT) qui, il y a quelques mois, rentrait en guerre contre Yuka – pour de sombres histoires de nitrites –, l’application française de notation des aliments aux 23 millions d’utilisateurs, c’est au tour de Lactalis de rentrer dans l’arène. Le leader français du lactose lance une grande campagne de communication sur trois marques phares de son portefeuille (Président, Bridélice et Primevère) pour contrer la bien-pensance nutritionnelle imposée par le nutri-score. Dans cette campagne, trois règles sont à retenir pour bien se nourrir : 1. les bonnes portions ! 2. le bon équilibre ! et 3. et toujours une touche de plaisir ! Ce dernier point étant majeur : le plaisir.
Parallèlement, la Sécurité Sociale, à coups de grandes campagnes d’email marketing, sensibilise ces usagers : « Nutri-score, un logo pour m’aider à manger mieux en un coup d’œil », en précisant plus loin : « et les chips n’en font toujours pas partie ». À croire que l’on nous veut du bien. Vraiment ?
« C’est l’assiette qui compte »
Revenons à la proposition de Lactalis. Face aux campagnes de sensibilisation menées par le Ministère de la Santé « Manger Bouger », le nutri-score faisant office de pourfendeur de la « mauvaise bouffe », le géant des produits laitiers souhaite rejouer la guerre de 100 ans par combat de logos interposés. En effet, nul n’est tenu d’afficher le nutri-score sur ses emballages. Il s’agit d’une preuve de bonne volonté des industriels de l’agroalimentaire dans le but de participer à l’effort collectif du mieux manger. C’est pourquoi Lactalis, sur certaines de ses marques phares envisage d’apposer un autre logo que le nutri-score. Une grande majorité de ses produits étant mal notés, ce nouveau logo made in Lactalis viendrait défendre les mérites nutritionnels de ses fromages chéris. Ainsi, la proposition sémantique de cette nouvelle campagne de Lactalis s’articule autour d’une habile métonymie : « c’est l’assiette qui compte, dans une assiette équilibrée, chaque aliment a sa place, tout est une question de proportions ». Comprendre : ce qu’il y a dans l’assiette et non l’assiette en tant que telle. Le roquefort donc, objet de toutes les crispations alimentaires, que l’on aime ou pas, on sait pertinemment que ce n’est pas pour assouvir un objectif cure d’amincissement que l’on en consomme. Et ça, Lactalis l’a bien compris. C’est tout l’enjeu de leur combat. Via cette campagne, ils défendent un petit bout du terroir français, de son histoire et de ses producteurs. En prenant fait et cause pour le fromage français, produit le moins anodin avec le vin quand on est français, c’est la promesse de se mettre une grande partie de la France dans la poche. Car vouloir nous imposer à tout prix une bulle aseptisée à base de carottes (pour être plus aimable) et de quinoa à l’huile de canola (pour garantir un transit impeccable) ne semble pas viable même si la note garantie serait de A, à chaque fois. Le nutri-score, si on le suit à la lettre, c’est la promesse de ne voir que salades et graines dans son assiette. Un daltonisme qui ne filtrerait que les verts. Dans le fond, Lactalis demande une chose : si les critères de composition du nutri-score ne sont pas réévalués (s’il vous plaît attribuez une bonne note à mes fromages chéris), c’est un nouveau référentiel de certification nutritionnelle que le roi du lactose cherchera à imposer : le sien. À la fin, ce qui compte véritablement, c’est peut-être de comprendre ce que l’on mange, dans les bonnes proportions, le bon équilibre et avec un peu de plaisir, pas d’avoir la meilleure note.
Alban Saint-Joigny